Ce que dit la loi au sujet du BDSM
Les pratiques BDSM peuvent paraître cruelles et violentes pour des non initiés. Nous portons des coups, nous infligeons des brûlures et nous laissons des marques qui mettent parfois plusieurs jours à partir. Il nous arrive même de blesser notre partenaire. Le consentement est la pierre angulaire de nos relations et ce qui les différencie de relations abusives et “violentes”. Mais que dit la loi par rapport à notre mode de vie ?

Laisser des marques
Ce que dit la loi
Il convient dans un premier temps d’établir clairement ce que dit la loi : L’article 222-1 du Code pénal dispose que « Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle. » Torturer le corps d’autrui est constitutif d’une infraction pénale, entraînant une peine d’emprisonnement. Le droit pénal est d’interprétation stricte, c’est à dire qu’il suffit que l’action condamnable y soit précisément décrite pour qu’il y ait matière à poursuite et condamnation. Si le Code pénal interdit les coups et blessures volontaires, et qu’il y a effectivement eu des coups et blessures volontaires, l’auteur des coups est pénalement répréhensible.
Le droit pénal protège la société dans son ensemble, et nullement les victimes – d’où l’indifférence à la question du consentement et à celle des habitudes érotiques des partenaires. Le « contrat », implicite ou explicite, qui a été passé entre les deux partenaires, et qui indiquait que c’était d’un commun accord que l’un se livrait à des actes pénalement condamnables sur l’autre, ne protège en rien contre une action en justice en matière pénale.
Une grande précarité juridique caractérise donc la situation des partenaires de pratiques SM : la « victime » peut à tout moment transformer son amant ou sa maîtresse en criminel. La culture BDSM étant diversement appréciée et comprise, il ne va pas de soi que la spécificité (et surtout la réalité) de la liberté d’être soumis, torturé, avili, soit reconnue comme élément d’atténuation des crimes éventuels.
L’évolution de la jurisprudence
Mais au delà de la loi en elle-même, il convient de ne pas perdre de vue son application : La jurisprudence désigne l’ensemble des décisions de justice relatives à une question juridique donnée. Il s’agit donc de décisions précédemment rendues, qui illustrent comment un problème juridique a été résolu. Elle nous donne ainsi une idée de la façon dont l’application de la loi évolue au fil du temps.
Prenons pour acquis qu’il existe aujourd’hui une relative indifférence du droit à l’égard des pratiques sexuelles et que c’est la jurisprudence, et en particulier la jurisprudence européenne, qui viendra préciser cet encadrement du droit à la vie privée durant ces 25 dernières années. On a pu constater :
- Un renforcement de la jurisprudence contre les actes sexuels non-consentis : l’inceste, la pédophilie, le viol entre époux – reconnu comme une infraction par la Cour de Cassation en 1990 et inscrit dans le Code pénal en 2006 à l’article 222-22 alinea-2
- Un adoucissement des peines pour les pratiques sexuelles réprimées lorsqu’il y avait consentement de la victime. Emmanuel Pierrat Avocat au barreau de Paris parle ainsi de l’émergence d’une « théorie du consentement » selon laquelle « lorsque les partenaires sont consentants (échangisme, amour à plusieurs, sadomasochisme, etc.), la justice devient moins sévère, alors qu’auparavant la volonté de la « victime » était indifférente à la lourdeur de la sanction.
La Cour Européenne des droits de l’homme reconnaît ainsi que les pratiques BDSM doivent être tolérées par les États dès lors qu’elles sont des pratiques BDSM telles que les amateurs de BDSM les entendent : “Cette sexualité est caractérisée par son caractère normé, contrôlé, contractuel et elle facilite la reconnaissance de standards tels que les magistrats les affectionnent. Sans consentement et sans formalisme, sans confiance aussi, il n’y a pas de BDSM”.

Contrat de soumission
Le BDSM dans les affaires judiciaires
Concrètement on trouve finalement relativement peu de traces d’affaires judiciaires impliquant des pratiques BDSM. Ce sont surtout des procès qui n’ont rien à voir avec le BDSM (qui mettent en oeuvre des contraintes et des pressions psychologiques sur le “soumis”, et le non respect du consentement et du safeword) et qui tentent de camoufler des abus en actes sado-masochistes.
Les affaires impliquant réellement des pratiquants du BDSM font état de personnes ayant commis des fautes en ne respectant pas des règles de sécurité élémentaires, en pratiquant sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, en sur-estimant leur maîtrise de la situation et en s’absentant.
Dans les années 90 : Dans l’affaire Spanner le caractère intrinsèque du BDSM n’est pas reconnu.
Au début des années 90 un groupe d’hommes a été inculpé par la justice britannique, alors qu’aucun acte non consenti n’avait été constaté (sur les vidéos saisies, qui ont été tournées lors des séances notamment), et qu’aucune plainte n’avait été déposée par les « soumis ».
En 1997 un docteur et juge ont été condamnés en Belgique pour coups et blessures volontaires à l’occasion de pratiques sado-masochistes auxquelles participait la femme du juge. (Cette affaire a donné lieu à un film : SM Rechter / Le juge SM.)
Ils avaient également été reconnu coupable d’incitation à la débauche (le juge avait proposé sa femme comme esclave, contre rémunération, à un patron de club) et c’est entre autre sur cette base qu’ils ont saisie la CDEH. En 2005 La cour Européenne des droits de l’homme à débouté les requérants au motif qu’ils n’avaient pas arrêté leur pratiques alors que le safeword avait été prononcé à plusieurs reprises et qu’une grande quantité d’alcool était consommée pendant les séance.
En Mai 2008, de la prison ferme est requise contre un ex président d’université qui ne respectait pas le consentement de sa partenaire.
“Nous ne faisons pas le procès du sado-masochisme. Notre tribunal ne fait pas de morale. Il s’agit du dérapage du sado-masochisme”, avait argumenté le procureur Jean-Louis Moreau, estimant que “le consentement d’une personne en état de faiblesse est vicié”.
Au Canada en 2008 une séance SM tourne au drame du fait de la négligence de l’inculpé.
La procureure de la Couronne a fait valoir qu’il n’est pas «illégal de participer à une activité dangereuse». Elle a aussi admis que la négligence criminelle, «quelque part, est toujours accidentelle». Dans le cas qui nous occupe, la victime participait volontairement à la séance, mais, compte tenu de sa vulnérabilité, M. Deschatelets était responsable de sa sécurité. Une personne raisonnablement prudente n’aurait pas laissé Lucie seule.
En septembre 2011 une séance de shibari fait un mort et un blessé grave en Italie.
La encore c’est la négligence de l’attacheur qui est mis en cause. Il avait a priori des connaissances poussées en Shibari et a mis en place système de balancier entre deux soumises attachées par le cou. L’une d’elle a fait un malaise, la seconde est morte étranglée. Une trop grande confiance face au danger, sans doute altéré par l’alcool et l’alcool a conduit au drame.
En 2013 un homme était poursuivi pour avoir dépassé les bornes dans la relation sado-masochiste qu’il entretenait avec une quadragénaire en s’inspirant du livre à succès “Cinquante nuances de Grey”.
Ici le tribunal à retenu que les règles en vigueur ont été respectées (consentement, usage du safeword…). L’inculpé n’a finalement pas été inculpé.

Gagged and chocked
En conclusion
Au regard de la loi le BDSM en lui-même n’est une activité répréhensible. Ce sont les conséquences préjudiciables de ces activités qui le sont. Durant ces 25 dernière années on a donc pu constater que l’application du code pénal dans les affaires touchant de près ou de loin au BDSM s’est assouplie, prenant de plus en plus en compte le caractère normé et consensuels de nos pratiques.
Il est pourtant important de ne pas perdre de vue les points suivants :
- Le proxénétisme (le fait « par quelque manière que ce soit, aider, assister ou protéger la prostitution d’autrui » ou « tirer profit de la prostitution d’autrui »), peut-être répréhensible même dans le cadre d’une relation D/s consentie.
- Le consentement et les normes intrinsèques au BDSM sont de plus en plus pris en considérations dans les affaire judiciaires.
- Le lien de dépendance entre le dominant et son soumis (par exemple un docteur et son patient) peut être une circonstance aggravante en cas de litige.
- En cas d’accident vous ne pourrez en aucun cas vous prévaloir de la volonté de votre partenaire de lui faire du mal. Vous devez donc pratiquer en toute sécurité et en toute maîtrise en toute circonstance.
Il est donc peu probable que tout un chacun soit inquiété du fait de ses penchants pour le sadomasochisme et la domination. Il est plus probable qu’on nous attaque en justice si on dépasse les limites du consentement, en pratiquant sous l’emprise d’une drogue et en négligeant notre partenaire. Mais ça, au fond, ça n’a pas grand chose à voir avec le BDSM.
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