Réflexions sur la norme
La norme renvoie à ce que fait ou pense la majorité. Elle s’établit alors comme une règle à suivre, et porte un jugement de valeur, car si on en sort on devient « anormal ». La norme s’oppose à la perversion. Le BDSM devrait donc être un lieu où la norme n’existe pas, son exact contraire même. Un domaine où l’on peut avoir des comportements pervers et avoir une personnalité hors des normes sans avoir peur du jugement de l’autre. Néanmoins, la norme continue à s’imposer également dans ce milieu et il est parfois difficile d’en sortir.
Pour se construire on a besoin de se définir et par là même on a besoin de se mettre dans un cadre et s’attacher une étiquette. Pour nombre de ceux qui m’entourent une seule suffit : ils sont Dominants, soumis ou masochistes. Ce sont des « pain sluts » ou des « rope bunnies ». Pour d’autres les choses sont moins simples. Ils switchent, sont en exploration, sont même parfois « sensualistes ». A l’image de la sexualité on peut donc au premier abord entrevoir, si ce n’est une hiérarchie au moins une binarité et une norme dans les rôles que l’on peut endosser.
C’est un premier pas dans le jugement de l’autre (tu n’es ni Dom ni soumis, mais qu’es-tu alors ?). La normalisation des rôles n’est pas la seule, puisque les pratiques en font également les frais. On dit souvent « Your kink is not my kink but it’s ok ! » mais est-ce vraiment ok pour moi ? Combien d’entre nous pratiquent l’ondinisme ? Combien d’autres, encore moins nombreux s’adonnent au « blood play » ? Et combien osent avouer leur amour pour les couche culottes ? Il n’est pas question de tout aimer et encore moins de tout pratiquer. Mais il existe malheureusement une discrimination et une hiérarchisation des pratiques des plus nobles aux plus « sales » (parce qu’on n’a pas beaucoup évolué depuis la Grèce antique et qu’on confond encore trop souvent le beau et le bon). On notera d’ailleurs que les pratiques les plus « nobles » sont les moins déviantes ou les plus « grand publique ». Il est par exemple de bon ton de pratiquer le shibari. Pas le bondage. Le shibari. Une pratique totalement déviante, acte de torture, ou spectacle pornographique qu’on normalise, auquel on redonne une respectabilité pour la faire accepter et adopter par le plus grand nombre en lui ôtant son caractère sexuel exacerbé. De la même façon, le fouet est sans doute plus largement pratiqué pour le côté esthétique de la performance plutôt que pour les sensations qu’il peut infliger.
Le monde du BDSM est donc un monde contradictoire où on rejette la norme mais où, paradoxalement tout est très normé : le shibari ne se pratique « qu’avec » des cordes de jute, la cire avec des bougies en paraffine, le knife play avec des couteaux très aiguisés à la lame plate sur le dessus. La norme a ici une valeur positive puisque elle est issue de l’expérience des pratiquants, qu’elle est une marque de bon sens et qu’elle permet d’éviter les accidents. De la même façon le protocole impose aussi ses normes : le soumis se doit d’avoir un collier. Il doit suivre les consignes de son maître et pour certain(e)s même devra dormir au pied de son lit. Il le doit, parce que ça a un sens. Parce que son maître quand il lui demande quelque chose a une intention et qu’il travaille à renforcer le lien et nourrir la relation qui les unis.
Finalement la norme est partout. Tantôt négative, tantôt positive. Au-delà des jugements de valeur, elle est. Mais malgré le tableau que j’ai dépeint ici (et même si je regrette la normalisation des pratiques pour son côté édulcorant), je pense sincèrement que le BDSM permet de s’épanouir en dehors du cadre tracé par la société. Et si j’ai montré qu’on avait tendance à recréer ces normes, le milieu est en constante évolution et il reste un espace de liberté où elle peuvent être bousculées, où les codes sont souvent renversés et où on peut-être réellement soi-même.
Pour illustrer cet article je me suis permis d’emprunter une photo de FredRx. Je vous recommande son travail autant que celui de la Divine Putain dont il ne faut absolument pas rater les performances.
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